
Dégustation du 9 octobre 2019
« Le combat des autres caves »
organisée par Jocelyn Audette et Marc-Étienne LeSieur

Pour la troisième mouture du « combat des
caves », Marc-Étienne et Jocelyn ont carrément
réinventé le concept. Au lieu d’un combat entre les
caves des deux organisateurs, ils ont imaginé de confronter deux
caves virtuelles, celle du pauvre et
celle du riche. Tout collectionneur sait qu’il doit
accepter de payer une prime, parfois salée, pour avoir
accès à des vins prestigieux, mais cela en vaut-il
toujours le prix?
À chaque round, nos organisateurs font s’affronter deux
vins très semblables, sauf par leur prix, l’un des vins
étant de deux à plus de trois fois plus cher que son
adversaire. Qui l’emportera, le vin du peuple ou le vin du riche?
Et les participants sauront-ils les identifier?
Cinq volées de deux vins, tous servis en double aveugle.
Premier round, deux mousseux du même millésime, mais
d’assemblage et d’origine différents : le Vive-la-Joie 2010 (AOC Crémant de
Bourgogne) des Caves Bailly-Lapierre contre le Satèn 2010 (DOCG Franciacorta) de
Ca’ del Bosco, les deux servis dans des flûtes.
Le Vive-la-Joie (30 $),
moitié pinot noir et moitié chardonnay, est jaune
pâle et l’effervescence est assez discrète. Le nez
est explosif, superbe, fruité (pomme blette, pêche,
citron), floral (fleurs blanches), crémeux (crème
Chantilly), assez complexe et très intéressant.
L’attaque en bouche est sucrée (dosée)
malgré ses très raisonnables 6,7 g/l de sucre; la
texture est ronde, le vin est minéral, bien fruité (suit
le nez), levuré (brioche) et très vif, mais assez fin,
quoique certains l’ont trouvé un peu trop acide. La finale
est juteuse, nerveuse, grillée et très persistante. Le
chouchou de la soirée!
Le Satèn (74 $),
80 % chardonnay et 20 % pinot blanc, est jaune paille, un peu
plus foncé, plus brillant et le train de bulles est si fin
qu’il est à peine visible. Au nez, le vin est plutôt
discret, fruité (fruits tropicaux, pomme verte), avec de la
cire; il s’ouvre en se réchauffant et montre une
légère évolution. En bouche, l’effervescence
est bien présente; l’acidité est moins
marquée que dans le vin précédent, au point
qu’il semble un peu lourd. On y détecte de la mie de pain,
un boisé discret et de l’alcool; ça demeure assez
simple. La fin de bouche est fruitée, quand même
fraîche et bien sèche, même un peu pâteuse et
la persistance aromatique est décevante.
Pour cette première volée, 86 % des participants ont
correctement identifié le vin le moins cher, le Crémant
de Bourgogne, et 71 %
l’ont préféré au Franciacorta qui est
pourtant une des grandes cuvées de cette maison.
Deuxième confrontation, deux 100 % chardonnay 2012 de la
même région : le Chablis
Grand Cru « Les Clos » 2012 de William
Fèvre versus le Chablis
1er Cru « Vaillons » 2012 du Domaine Jean
Dauvissat.
Les Clos (124 $) est
très pâle, avec des reflets verdâtres de jeunesse.
Le nez est bien ouvert, très fruité avec des notes
exotique (poire, coing, ananas), florale (rose), épicée
(poivre blanc), légèrement herbacée
(échalote) et boisée. En bouche, il est gras, bien
charpenté, avec une belle acidité, du bois, de la
fraîcheur, de la chaleur et un très bon équilibre.
La finale est surette, un peu rêche, bien fruitée,
fumée, avec une note de caramel et elle est assez longue.
Le Vaillons (40 $... on
n’a plus les vins du pauvre qu’on avait, m’enfin!)
est à peine plus foncé, plus doré, mais
très limpide. Il est plus discret, un peu poupoune, avec du
fruit , de la cire, un peu de bois. En bouche, il est peu complexe,
avec une note terreuse (patate crue) et une acidité qui
n’empêche pas une légère lourdeur. La fin de
bouche est fruitée (citron) et un peu verte; la longueur est
correcte. Le vin le moins apprécié de la soirée,
il a semblé défectueux à plusieurs.
Cette fois, évidemment, c’est la cave du nanti qui a
prévalu; seulement 21 % ont préféré le
vin le moins cher mais, et c’est plutôt rigolo, seulement
21 % également ont réussi à
l’identifier.
Troisième round, deux bourgognes 2009 : le Clos des Mouches 2009 (AOC Beaune Premier
Cru) du Domaine Chanson fait face au Ladoix 1er Cru « La
Corvée » 2009 du Domaine Michel Mallard.
Le Clos des Mouches (94 $)
est grenat pâle, un peu évolué à
l’œil, mais très jeune au nez et en bouche. Il est
très aromatique, très fruité (un peu bonbon),
très épicé (poivre, cannelle, girofle, camphre),
bien typé pinot noir. En bouche, il est bien sec; c’est
une bombe de fruit, avec une belle acidité, une note
végétale et une chaleur (13,5 %/vol) assez
marquée; l’équilibre reste très beau. La
finale est très fruitée, bien sèche,
légèrement astringente, épicée (cannelle)
et fumée; la longueur est très bonne.
Le Ladoix (55 $... ouch!
ça ne s’arrange pas pour la plèbe) est de la
même teinte, mais plus évolué, plus foncé,
légèrement brique sur la couronne. Le nez est moins
exubérant mais bien ouvert, avec des fruits (noirs et rouges) et
des épices (poivre). L’attaque est grasse et soyeuse; il
est plus charpenté, plus complexe, bien fruité, avec des
tannins fins, très enrobés, une note terreuse et du sucre
d’orge (on a parlé de cola). La fin de bouche est
terreuse, grillée et assez persistante.
Le vin préféré a été, à 64 %, le Ladoix, le moins cher,
et il a été correctement identifié comme tel par
71 % des participants.
Prochain combat, deux DOCG Bolgheri
à base de merlot : le Ruit Hora 2013 de Caccia al Piano
1868 rencontre Le Serre Nuove dell’Ornellaia 2011
d’Ornellaia e Masseto Società Agricola.
Le Ruit Hora (payé
14 € en Italie), 65 % merlot, 25 % cabernet
sauvignon, 5 % petit
verdot et 5 % syrah, est rubis foncé, plutôt jeune.
Il est assez ouvert au nez, avec des fruits noirs compotés
(cerise, mûres), de la réglisse et une bonne dose de bois,
mais quand même élégant. L’attaque est vive,
le corps moyen, le vin sec, bien fruité, astringent et terreux,
avec une note végétale assez marquée et
l’équilibre est plutôt bon. La finale est
fruitée, juteuse et très, très longue. Une
trouvaille! Le deuxième vin le plus apprécié de la
soirée. On rêve de voir ce vin disponible au Québec
un jour.
Le Serre Nuove (70 $),
57 % merlot, 17 % cabernet sauvignon, 14 % petit verdot
et 12 % cabernet franc, est de la même couleur, mais plus
foncé, opaque même. Au nez, il est bien ouvert,
très boisé (noix de coco), vanillé et très
fruits cuits (cerise, bleuet, pruneau). En bouche, il est très
sec, gras, très extrait, pour ne pas dire énorme,
tannique et bien fruité, avec une note médicamenteuse et
de la chaleur; c’est une brute un peu lourde. Il y a quand
même une certaine fraîcheur en fin de bouche, avec du
fruit, du chocolat, de la fumée et du menthol, mais ça
demeure asséchant; c’est très persistant.
Cette fois, seulement 21 % des participants ont correctement
identifié le vin le moins cher (quoiqu’on ne sait pas
combien il coûterait à la SAQ), mais 79 % l’ont
préféré.
Dernier round, deux
Côtes-du-Rhône du même millésime et du
même producteur, la famille Perrin : le Coudoulet de
Beaucastel 2010 (AOC Côtes-du-Rhône) affronte le
Château de Beaucastel 2010 (AOC Châteauneuf-du-Pape).
Le Coudoulet (29 $), un
assemblage de grenache (30 %), de mourvèdre (30 %), de
cinsault (20 %) et de syrah (20 %), est grenat assez
foncé. Il est très aromatique, très fruité,
épicé (cannelle), floral (lavande), avec de
l’amande amère, une note minérale et de
l’alcool (grappa, kirsch). La bouche est grasse, onctueuse, avec
des tannins assez fondus, beaucoup de fruit (groseille, bleuet) et
l’acidité qu’il faut pour un super équilibre.
Ça finit sec, sur les fruits cuits, le chocolat et
l’alcool qui domine la longue persistance aromatique.
La robe du Beaucastel est
identique. Ce vin contient tous les cépages autorisés
dans l’appellation : 30 % de grenache, 30 % de
mourvèdre, 10 % de counoise, 10 % de syrah, 5 %
de cinsault et 15 % des huit autres (vaccarèse, terret
noir, muscardin, clairette, picpoul, picardan, bourboulenc et
roussanne). Le nez est plus discret, crémeux, fruité
(fraise, olive), avec une note noyau légèrement
médicamenteuse, du chocolat, du café et du tabac.
L’attaque est grasse et soyeuse, puis l’alcool et les
tannins arrivent, sans dureté; le vin est très
fruité mais pas lourd. La finale chaude et fruitée
rappelle le porto et est très, très longue.
Pour cette dernière confrontation, le pointage a
été très
serré. D’abord, les deux tiers (68 %) des
participants ont correctement identifié le premier vin comme
étant le moins cher, mais seulement
57 % ont préféré le grand vin.
Qu’en conclure? Il va de
soi que l’échantillonnage était bien petit, mais le
choix des vins s’est révélé très
intéressant et très efficace, félicitations aux
organisateurs. En gros, le moins cher
a été identifié comme tel trois fois sur cinq et
il a été préféré à son
vis-à-vis dispendieux aussi trois fois sur cinq; il est
cependant raisonnable de croire que les deux décisions
n’étaient pas totalement indépendantes l’une
de l’autre. Globalement, les résultats sont beaucoup moins
tranchés : Dans 56 %
des cas, les participants ont préféré les vins du
peuple et dans 51 %, ils les ont correctement
identifiés comme tels.
Pour revenir à la question initiale — cela en vaut-il
toujours le prix? — la réponse est, sans grande surprise,
non, du moins pour la sélection de vins qui nous a
été soumise ce soir. Reste à voir comment ces vins
performeraient à pleine maturité; par exemple, dix ans,
c’est super pour Coudoulet, mais bien jeune pour Beaucastel;
Vive-la-Joie est fait pour être apprécié jeune,
Satèn pour la longue garde; et bien d’autres facteurs
pourraient être analysés.
Quoi qu’il en soit, l’exercice est rassurant : pas
nécessaire d’hypothéquer sa maison pour se monter
une belle cave, faut juste savoir choisir; ce que, de toute
évidence, Jocelyn et Marc-Étienne semblent parfaitement
maîtriser.
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Alain Brault